Faisant indirectement écho à Catherine à travers ce ménage à trois auquel se sont livrés les créateurs du jeu, Shadows of the Damned est en même temps un titre avec lequel EA prend une nouvelle fois des risques, car présentant une licence inédite. Des fans de Robert Rodriguez dans la salle pour sauver le jeu du four ?

 

 

Avant de parler de Shadows of the Damned, le jeu, il serait déjà fort intéressant de se pencher sur Shadows of the Damned, le pedigree. Ce titre était en effet très attendu chez une partie de la communauté gamer de par l'identité du triumvirat placé à la tête de son développement : Suda 51, Shinji Mikami et Akira Yamaoka. On doit notamment au premier les deux volets de No More Heroes parus sur Wii., au second Resident Evil 4 et Vanquish, tandis que le dernier a bercé nos ballades brumeuses dans tous les épisodes de Silent Hill sortis à ce jour aves ses ambiances mélodieuses ou bien torturées.

 

Mais attention. Si Suda 51 est crédité en tant que directeur exécutif du jeu et Shinji Mikami producteur créatif, c'est bien Grasshopper Manufacture qui s'est occupé du développement de Shadows of the Damned. Et ça se sent d'abord dans son scénario, déjanté, sanglant et sexy. Tout commence avec l'apparition à l'écran de Garcia Hotspur, chasseur de démons à l'accent fortement ibérique qui assistera à l'enlèvement de sa petite amie Paula par le Seigneur des Démons, Fleming. Celui-ci, après l'avoir tuée une première fois, ne va avoir de cesse de la ressusciter pour la faire passer ensuite de nouveau de vie à trépas. Un peu comme Mozart avec chaque représentation de l'opéra rock de Dove Attia. De son côté, Garcia va se rendre dans le monde démoniaque assisté d'un crâne à presque tout faire appelé Johnson, et ce dans l'unique but de récupérer sa blondinette.

 

Comme de bien entendu, Garcia devra patienter quelques heures avant de pouvoir se mesurer à Fleming et lui faire fermer tous ses yeux. Seul « problème », la salle d'attente est remplie de démons désirant griffer le corps ultra tatoué de notre hombre. Pour s'en défaire, outre la fuite, Garcia devra utiliser Johnson, son fidèle allié sans peau capable de se métamorphoser instantanément en différentes armes (trois au total qui évolueront selon vos envies et la quantité de votre monnaie d'échange). Le système de visée est directement repris de Resident Evil 4, mais soyez rassurés, vous pourrez tirer tout en vous dégourdissant les jambes. Je vous conseille d'ailleurs de modifier la vitesse de déplacement de votre visée si celle de base ne vous semble pas suffisamment réactive.

 

Mélanger le passé à l'imparfait

 

Shadows of the Damned se présente, dans son schéma, comme un Resident Evil 4/5 ou encore un Vanquish des familles. Il est en effet scindé en quelques actes (cinq) eux-mêmes découpés en plusieurs niveaux. Le premier acte faisant office de prologue est d'ailleurs rapidement expédié. Dans le suivant, vous ferez connaissance avec les intéressantes mécaniques de jeu du titre de Grasshopper, à commencer par le tir de lumière. Cette fonction disponible sur toutes les armes de votre arsenal ne demandera aucune balle pour son utilisation, vous souviendrez-vous en ? Elle vous servira à dissiper les ténèbres quand celles-ci viendront habiller les lieux d'un bleu nécrose du plus bel effet. Le plus tôt sera le mieux car dans les ténèbres, votre barre de vie se verra malmenée au point de se vider petit à petit. Votre seul moyen de retrouver la paix, outre la fuite vers des cieux meilleurs : trouver une tête de mouton en pleine crise de bêlement intense et lui administrer un tir de lumière.  Toutefois, en certaines circonstances, il sera indispensable de prendre volontairement un bain de ténèbres, car ce n'est que de cette façon que vous pourrez voir et activer certains dispositifs invisibles dans le monde normal.

 

 

Élément intéressant, les ténèbres sont annoncées par un son répété de cloche, suivi par une modification progressive du papier peint du décor, ce qui ne sera pas sans rappeler les entrées dans le monde altéré de Silent Hill (l'épisode Shattered Memories en particulier). De ce fait, on développe comme une certaine appréhension à chaque fois que l'on entend ce lugubre signal, surtout que cette altération de l'environnement rend les ennemis plus ardus à abattre. Recouverts des ténèbres, ils deviennent pour ainsi dire invincibles, et vous ne pourrez vous en débarrasser que dans un endroit « sain » et après les avoir « nettoyé » de leur sombre couche par un tir étincelant. Ce qui nous amène à toucher l'un des points sensibles du jeu : sa difficulté parfois rebutante. D'une manière générale, Shadows of the Damned est loin d'être insurmontable. Mais à plusieurs moments, on sera surpris de constater qu'il n'est pas un modèle de gameplay. Incroyable puisque les dernières productions de Shinji Mikami s'illustraient par une excellente jouabilité.

 

Ainsi, les séquences de poursuite se révèlent être un calvaire à jouer, simplement car elles demandent au joueur de savoir exactement ce qu'il doit faire avec un champ de visibilité réduit. Soyez prévenus, ce jeu est sombre visuellement parlant et ses cinématiques toujours entourées de bordures noires n'aident pas à apprécier pour le mieux le contenu de l'image. Le combo Ténèbres + boss + démons demande aussi à vérifier très souvent sa barre de vie, et par extension à risquer sans arrêt la gueule de bois pour regagner de la vitalité (vous comprendrez manette en mains, rassurez-vous). Mais on y survit.

 

 

Looking for Paula

 

Le vrai souci de Shadows of the Damned se situe ailleurs. Le sentiment que vous éprouverez à mi-parcours environ sera celui de vous être essayé à un jeu trop court. Chaque sous-acte est, à peu de choses près, différent du précédent, mais ils se terminent bien trop rapidement. Le parallèle avec Vanquish est incontournable. Oui, ce dernier dure moins de dix heures, tout comme Shadows of the Damned. Mais au moins, vous vous sentez réellement en danger en y jouant, vous n'êtes pas interrompu par des cinématiques certes distrayantes dans Shadows of the Damned, mais peut-être également trop envahissantes. Liberté, je demande ta présence. Soupir, car le gameplay, sans réinventer le genre, laisse une vraiment bonne impression et aurait été digne d'une meilleure mise en valeur.

 

Sur qui projeter la faute ? Suda 51 ? On observe effectivement comme une certaine retenue de sa part dans l'écriture du scénario, contenant des moments bien barrés mais dont le fil s'avère mince (Paula, où es-tu ?). Et Garcia ne parvient pas à nous faire oublier, ni même à égaler le loser Travis Touchdown, n'en déplaise aux admirateurs du faciès de Benicio Del Toro. A ce propos, sachez que Shadows of the Damned pique les yeux et n'est pas dénué de bugs, même s'il faut prendre en compte le fait que Grasshopper signait là son premier titre HD. La responsabilité de Shinji Mikami, quant à elle, n'est pas facile à évaluer. Son rôle de producteur créatif lui a-t-il fait oublier de demander encore plus d'action dans les niveaux ? Le principe des ténèbres est encore une fois nickel, mais il se serait sans doute épanoui dans un terrain de jeu plus grand. Reste la partition d'Akira Yamaoka, pas très éloignée finalement de celles des jeux Silent Hill, si ce n'est qu'on y remarque une touche rock plus présente. Normal.

 

Avec ses Trophées/Succès qui ne vous demanderont que de respirer pour être remportés et ses scènes parfois très chaudes à déguster, Shadows of the Damned dévoile sans cesse deux faces d'une même pièce sans jamais vraiment se décider. Trop scripté, pas assez fou, il mériterait définitivement une suite plus généreuse et aboutie pour que cette licence succède avec panache à ses modèles précités. Au final, on reste sur notre faim. Il vous reste de la tête de mouton ?